Événement spécial, Vulgarisation
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NeuroStories 2020 : réponses aux questions de Guillaume Martinent

Suite au live du 23 novembre 2020, nous répondons aux questions qui n'ont pas eu le temps d'être posées. Dans cet article, Guillaume Martinent répond aux questions qui lui étaient adressées.

Temps de lecture estimé : 15 min

Le 23 novembre dernier, cinq chercheurs nous ont partagé leurs secrets sur le langage des émotions, que ce soit chez les animaux, les hommes ou les robots. Vous avez été plus de 700 à suivre ce live ! Les questions ont fusées et n’ont pas toutes pu être posées en direct. Guillaume Martinent répond ici à toutes vos questions suite à son intervention sur « Gagner grâce à son intelligence émotionnelle » ! 

N’hésitez pas à visionner l’intervention de Guillaume Martinent dans la vidéo à la fin de l’article et à poser vos questions en commentaires.

Pour voir le live, c’est par ici : Playlist YouTube « NeuroStories 2020 ».

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Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (L-VIS) Guillaume Martinent | Maitre de conférences à l’université Claude Bernard Lyon 1

Guillaume Martinent est maître de conférences en psychologie sociale et en psychologie du sport et de l’activité physique dans le laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport (L-VIS) à l’Université de Lyon (UFR des sciences et techniques des activités physiques et sportives). Ses travaux visent notamment à caractériser les dynamiques émotionnelles d’individus engagés dans des environnements stressants au travers d’empans temporels variés (saison sportive, compétition, hivernage en base polaire, personnes âgées entrant en institution) ainsi que de leurs antécédents (climat motivationnel, régulation et intelligence émotionnelle) et de leurs conséquences (performance, bien-être, dépression, burnout). Dans la continuité, ses travaux actuels l’ont amené à proposer et tester l’effet de programmes d’interventions à destination des individus (développement des compétences émotionnelles) et/ou de leur entourage (climat motivationnel favorisant la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux). Ces travaux offrent aujourd’hui des perspectives pour optimiser l’adaptation des individus en situation stressante.

Les réponses aux questions

Retrouvez dans cette section les réponses aux questions qui n'ont pas pu être répondues lors du live.

Question n°1 : Est-ce que la prise de stéroïdes par certains sportifs peut altérer leur intelligence émotionnelle et affecter leurs performances ?

Dans la mesure où les émotions ont une dimension somatique (perception des symptômes physiologiques), la prise de stéroïdes impacte les ressentis émotionnels des athlètes durant la compétition.

Par contre, cela semble illusoire de penser que les stéroïdes (ou n’importe quel dopant) pourraient optimiser l’intelligence émotionnelle dans la mesure où l’intelligence émotionnelle renvoie aux capacités de reconnaitre, discriminer, réguler et utiliser ces émotions pour faciliter sa performance.

Il n’existe pas de dopants permettant d’optimiser les processus émotionnels. Simplement, les produits dopants sont susceptibles de modifier les émotions ressenties (mais sans nécessairement les optimiser).

Question n°2 : Ne devrions-nous pas distinguer l'émotion de l'expression de l'émotion et son usage dans notre adaptation comportementale ?

Oui, il convient de distinguer le ressenti émotionnel de l’expression de l’émotion.

  • Le ressenti émotionnel renvoie à une composante interne (personnelle) qui n’est pas forcément observable par notre interlocuteur.
  • L’expression de l’émotion renvoie à une composante publique de l’émotion qui est observable par notre interlocuteur (un co-équiper ou un adversaire dans le contexte sportif).

Donc il peut y avoir un décalage entre le ressenti émotionnel et l’expression émotionnelle : je peux chercher à cacher mon expérience d’anxiété à mon adversaire pour éviter d’augmenter sa confiance en agissant sur l’expression des émotions (expression faciale, comportements non-verbaux, posture).

Question n°3 : Comment un athlète peut arriver à utiliser ses émotions dans un moment stressant (perdre en fin de match) pour hausser son niveau et ne pas de se faire écraser par la pression ?

Pour utiliser ses émotions en situation stressante, l’athlète cherche à entrer et rester dans sa zone optimale de fonctionnement qui renvoie notamment à un état émotionnel qui est optimal pour réaliser une bonne performance.

Il convient donc d’accompagner l’athlète à identifier sa zone individuelle de fonctionnement optimal – c’est-à-dire définir quelles émotions (et à quelles intensités) lui permettent de faire des bonnes performances- en permettant à l’athlète de se connaitre émotionnellement et d’identifier s’il est dans sa zone de fonctionnement optimal.

Et s’il n’est pas dans sa zone de fonctionnement optimal, alors des stratégies de régulations émotionnelles pourront être mises en place par l’athlète. Par rapport à cela, des techniques peuvent être utilisées : relaxation, contrôle du dialogue interne, fixation de buts, imagerie mentale, méditation de pleine conscience, etc.

Ces outils et techniques sont à travailler à l’entraînement en amont pour que les athlètes les maîtrisent et les utilisent de manière optimale le jour de la compétition pour optimiser les émotions ressenties en compétition.

Question n°4 : Y a-t-il une limite fixe entre une "intelligence émotionnelle" et une exacerbation des émotions qui pourrait éventuellement devenir pathologique ?

Les athlètes qui développent une intelligence émotionnelle seront en mesure de ne pas se laisser submerger par leurs émotions et seront mettre en place des stratégies de régulation émotionnelle pour ne pas se laisser submerger par leurs émotions.

Question n°5 : ​Pensez-vous que les bons athlètes sont ceux qui gèrent le mieux leurs émotions ?

Les résultats des études scientifiques montrent effectivement que :

  • Les athlètes d’un meilleur niveau gèrent significativement mieux leurs émotions que les athlètes d’un niveau inférieur
  • Les athlètes qui améliorent leur régulation émotionnelle (leur gestion des émotions) augmentent significativement leur niveau de performance

Il est néanmoins important de garder à l’esprit que plusieurs facteurs impactent la performance et qu’il n’y a pas que les émotions qui impactent la performance.

Question n°6 : Quels seraient les bénéfices de l'enseignement de l'intelligence émotionnelle à un public plus large ?

L’intelligence émotionnelle permet d’optimiser le bien-être et la satisfaction de vie (en plus d’optimiser la performance). Ainsi, le développement de l’intelligence émotionnelle s’affirme comme une habileté transversale et utile dans différents contextes.

Les techniques de développement de l’intelligence émotionnelle mise en oeuvre en contexte sportif sont d’ailleurs largement utilisées dans d’autres contextes (scolaire, travail, santé).

Question n°7 : Pensez-vous que la communication émotionnelle est plus importante que les mots dans le sport ?

Les sciences de la communication ont montré que plus de 50% du message dans une communication dyadique (entre 2 personnes) passe par les indicateurs non-verbaux (expression faciale, posture, gestuelle). Ces indicateurs non-verbaux témoignent souvent des émotions puisque les émotions ont une fonction de communication et de transmission de l’information.

Donc si les contenus verbaux (les mots) restent malgré tout important, les travaux scientifiques montrent qu’il est tout autant important de faire attention à la manière de transmettre les mots pour que le message soit bien transmis et reçu par notre interlocuteur.

Question n°8 : ​Le dopage modifie le comportement des systèmes physiques, peut-il avoir une incidence sur les émotions ?

Le dopage modifie effectivement les différentes fonctions physiologiques (système cardiorespiratoire, système hormonale, système endocrinien…). De ce fait, il modifiera également les expériences émotionnelles vécues par les athlètes.

Pour autant, il est important de garder à l’esprit que le dopage ne permet pas de modifier l’intelligence émotionnelle dans la mesure où l’intelligence émotionnelle renvoie aux capacités de reconnaitre, discriminer, réguler et utiliser ses émotions pour faciliter sa performance. Il n’existe pas de dopants permettant d’optimiser les processus émotionnels. Simplement, les produits dopants sont susceptibles de modifier les émotions ressenties (mais sans nécessairement les optimiser).

Question n°9 : En quoi consiste le programme de développement de l'intelligence émotionnelle ? Auriez-vous des conseils pour améliorer notre intelligence émotionnelle ?

Un programme de développement de l’intelligence émotionnelle consiste à accompagner les athlètes à prêter attention :

  • Aux émotions ressenties dans différentes situation (avant le match, pendant le match)
  • Aux symptômes des émotions ressenties (que ce soit au niveau somatique (perception des symptômes physiologiques comme une boule au ventre) ou au niveau cognitif (les pensées)
  • Aux facteurs qui ont déclenchés telle ou telle émotion (quelle situation a faite que j’ai ressentie de l’anxiété, de la colère, de l’excitation…)
  • A l’effet des émotions sur la performance (est-ce que mes émotions influencent mes comportements, mes pensées et ma performance?)

 

  • Aux stratégies de régulations émotionnelles mises en place et à leur efficacité

Cela peut être réalisé au travers d’un carnet de suivi que les athlètes vont compléter au fur et à mesure des entraînements et/ou des compétitions. Toutes ces informations permettront aux athlètes de mieux reconnaitre et comprendre les émotions en lien avec les actions vécues dans les situations de compétition.

A partir de toutes ces informations, il sera alors possible d’identifier une zone optimale de fonctionnement qui est propre à l’athlète (et qui se caractérise notamment par des natures et des intensités émotionnelles particulières). Il deviendra alors possible d’accompagner l’athlète pour qu’il soit capable de rentrer et de rester dans sa zone de fonctionnement optimale au travers de stratégies de régulation émotionnelle qui auront été expérimentées et travaillées à l’entraînement (respiration, contrôle du dialogue interne, imagerie, stratégies de focalisation de l’attention etc..).

Question n°10 : Si nous ressentons des émotions, ne serait-ce pas les sentiments générés qui nous permettent de nous adapter aux situations ? Ou nous reconnaissons un sentiment parce que nous ressentons des émotions ?

Les émotions sont une réponse à une situation donnée et permettent à l’individu de s’adapter à la situation. Ainsi, c’est la perception de la situation qui va déclencher une émotion qui aura pour fonction de faciliter l’adaptation de l’individu à cette situation.

Par exemple, la perception d’une menace existentielle et incertaine dans une situation (en contexte sportif, une compétition peut être perçue comme importante et l’issue finale incertaine) déclenchera une émotion d’anxiété. Cette émotion d’anxiété signifie à l’individu que cette compétition est importante et qu’il importe d’être particulièrement vigilant et impliqué. Autrement dit, cette émotion d’anxiété (bien qu’elle soit déplaisante) permet à l’individu de faciliter son adaptation à la situation.

Simplement, si la perception de la situation par l’individu est vraiment disproportionnée au regard des caractéristiques de la situation, alors il est possible que l’émotion déclenchée par la situation soit inappropriée et entraîne des conséquences néfastes, témoin d’une inadaptation. Mais ce n’est pas l’émotion en soi qui est inadaptée, mais bien la perception de la situation qui est inadaptée et qui déclenche une émotion inappropriée au contexte.

Question n°11 : ​Que pensez-vous de la méditation ou plutôt son rapport avec les émotions : génération et expressions ?

Il existe différents types de méditations qui impactent largement les émotions ressenties par les individus.

Par exemple, la méditation de pleine conscience est de plus en plus utilisée à l’heure actuelle, y compris dans le domaine sportif. Elle vise à laisser venir à nous les émotions ressenties (qu’elles soient plaisantes ou déplaisantes) sans jugement et sans interprétation pour pouvoir les accepter avec bienveillance.

Les techniques de méditation permette ainsi d’accompagner les individus à :

  • Prêter attention à leurs émotions
  • Accepter les émotions ressenties
  • Pour in fine mieux vivre avec dans le quotidien

Question n°12 : Qui finance les études sur le lien entre performance sportive et émotions ?

Il existe des financements sur appels à projets.

Par exemple, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a lancé récemment un appel à projet spécifique à la haute performance dans l’optique des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 qui a contribué à un financement d’une dizaine de projet à hauteur de 20 millions d’euros.

Ce sont donc des projets d’envergure qui sont le plus souvent pluridisciplinaires.

Certains projets retenus étaient plus particulièrement centrés sur la préparation mentale en se focalisant notamment sur la gestion des situations stressantes (par exemple le projet Train Your Brain porté par l’Université de Nantes et dans lequel mon laboratoire (Laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport de l’Université Lyon 1) est associé.

Un autre appel à projet pour des financements moins importants (entre 10 000 euros et 25 000 euros) est publié annuellement par le Ministère des sports.

Enfin, il existe également des financements qui visent spécifiquement à financer la réalisation de thèses sur la performance qui sont une collaboration entre le secteur public et le secteur privé (ou associatif). C’est ce que l’on appelle les bourses CIFRE.

Question n°13 : Auriez-vous des références ou techniques pour nous aider à réguler au mieux nos émotions dans la vie quotidienne, personnelle ou même professionnelle (sans être sportif de haut niveau et donc de préparateur mental) ?

La quasi-totalité des techniques utilisées auprès des sportifs de haut niveau pour les accompagner à réguler de manière optimale leurs émotions trouve leurs origines dans la psychologie académique et peuvent ainsi être utilisées aussi bien dans le domaine sportif que dans le domaine du développement personnel, du domaine professionnel ou du domaine scolaire par exemple.

Les 4 techniques de base sont: la relaxation, le contrôle du dialogue interne (le dialogue interne renvoie aux différentes pensées (cognitions) présentes dans la tête des individus), la fixation de buts et l’imagerie mentale.

D’autres techniques existent comme les techniques de méditations de pleine conscience ou encore les ancrages.

Dans tous les cas, il est important de bien distinguer ce qui renvoie aux techniques utilisées et ce qui renvoie aux processus psychologiques sous-jacents en jeu. En effet, n’importe quelle technique est susceptible d’influencer différents états mentaux (état émotionnel, état motivationnel, état cognitif). Ainsi, il est surtout très important de poser un diagnostic de la situation de l’individu pour faire émerger la problématique à travailler et d’identifier les techniques les plus à même de répondre à la problématique identifiée. Ainsi, une approche consistant à utiliser une technique donnée sur un large groupe d’individus ne semble pas être la plus adéquate. C’est bien le diagnostic initial qui posera les bases du travail à réaliser et permettra de sélectionner la technique à utiliser parmi toutes les techniques existantes.

Gagner grâce à son intelligence émotionnelle

Voici la vidéo de l'intervention de Guillaume Martinent, n'hésitez pas à poser vos questions en commentaires.

NeuroStories 2020 - Guillaume Martinent : Gagner grâce à son intelligence émotionnelle
Emma Duboc Assistante communication
Auteur

Diplômée d'une Licence de biologie et d'un Master de communication scientifique, je souhaite apporter ma pierre au pont qui relie le monde secret de la science et notre société !

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