Événement spécial, Vulgarisation
Publié le

NeuroStories 2020 : réponses aux questions de Jean-Baptiste Pavani

Suite au live du 23 novembre 2020, nous répondons aux questions qui n'ont pas pu être répondues. Dans cet article, Jean-Baptiste Pavani répond aux questions qui lui étaient adressées.

Temps de lecture estimé : 15 min

Le 23 novembre dernier, cinq chercheurs nous ont partagé leurs secrets sur le langage des émotions, que ce soit chez les animaux, les hommes ou les robots. Vous avez été plus de 700 à suivre ce Live ! Les questions ont fusées et n’ont pas toutes pu être toutes posées en direct. Jean-Baptiste Pavani répond ici à toutes vos questions suite à son intervention sur « A la source de nos émotions » ! 

N’hésitez pas à visionner l’intervention de Jean-Baptiste Pavani dans la vidéo à la fin de l’article et à poser vos questions en commentaires.

Pour voir le live, c’est par ici : Playlist YouTube « NeuroStories 2020 ».

    Centre PsyCLÉ : centre de recherche en psychologie de la connaissance, du langage et de l'émotion (AMU) Jean-Baptiste Pavani | Maître de Conférences en psychologie différentielle

    Disposant d’un doctorat en psychologie obtenu à Aix-Marseille Université en 2018, Jean-Baptiste Pavani est un jeune enseignant-chercheur en psychologie. Il mène actuellement un ensemble de recherches sur les émotions et leur régulation au Centre de recherche en psychologie de la connaissance, du langage et de l’émotion (le Centre PsyCLÉ) d’Aix-Marseille Université. Ses travaux portent sur la manière dont nos émotions agissent sur nos comportements, mais aussi et surtout sur la manière dont nous pouvons agir sur nos propres émotions. Il a, à ce sujet, publié un ouvrage intitulé Agir sur ses émotions, aux presses universitaires de Grenoble en 2020. Un autre axe majeur de ses recherches est la manière dont les émotions et leur régulation diffèrent d’une personne à l’autre en fonction de leur personnalité. Ses travaux sur les liens entre personnalité et émotions lui ont notamment valu des récompenses internationales, comme le prix Wiley 2017 du meilleur article publié par un doctorant dans la revue d’ampleur internationale European Journal of Personality.

    Les réponses aux questions

    Retrouvez dans cette section les réponses aux questions qui n'ont pas pu être posée lors du live.

    Question n°1 : Patience et persévérance sont-ils suffisants pour modifier nos circuits cérébraux? quid de la plasticité neurone?

    Certaines psychothérapies, certains programmes de développement personnel, et même certains traitements médicamenteux actuels conçus pour aider les personnes qui le souhaitent à mieux gérer leurs pensées et émotions négatives et positives ont des résultats encourageants.

    Bien sûr, encore aujourd’hui, nous sommes loin d’atteindre des taux de réussite de 100%. Plus encore, même lorsqu’une personne parvient à faire des changements importants dans son fonctionnement psychologique, des rechutes s’observent parfois. Les troubles émotionnels liés à un circuit de la punition fortement activé (ex. : dépression majeure, troubles anxieux) sont d’ailleurs connus pour être des troubles récidivants.

    Néanmoins, même quand une personne ne change pas à l’issue d’une thérapie, ou encore quand elle rechute, il serait hâtif d’affirmer que cette personne possède un « cerveau trop peu plastique ». D’autres raisons peuvent en effet expliquer son absence de changement ou sa rechute (ex. : mauvaise relation avec le thérapeute, utilisation de techniques thérapeutiques inefficaces ou non-ajustées aux valeurs et compétences de la personne).

    Ainsi, s’il fallait ajouter quelque chose à la « persévérance » et à la « patience », plutôt que de se focaliser sur la plasticité cérébrale supposée de telle ou telle personne, j’aurais plutôt tendance à ajouter les éléments suivants :

    • une raison de changer claire et motivante ;
    • la confiance en sa capacité à changer ;
    • l’utilisation de techniques thérapeutiques prouvées scientifiquement ;
    • le travail avec un thérapeute (pour ceux qui souhaitent suivre une thérapie) fortement empathique, chaleureux, et authentique.

    Question n°2 : Est-il possible par exemple de stimuler notre circuit de récompense positif et ce faisant, progressivement, diminuer celui de la punition ou des conceptions négatives ? (si cela fait sens.

    Cela fait tout à fait sens !

    Tout d’abord, il est bel et bien possible de stimuler son circuit cérébral de la récompense. En des termes moins neurobiologiques, il est bel et bien possible de s’entrainer à orienter son attention vers les aspects positifs de son environnement et de soi-même, jusqu’à ce que cela devienne plus automatique.

    Des substances chimiques (ex. : drogues, médicaments) permettent de stimuler temporairement le circuit cérébral de la récompense. Néanmoins, pour des changements plus durables, l’utilisation régulière de techniques « cognitives » ou « comportementales » est plus appropriée. Les techniques cognitives sont celles qui ciblent notre manière de penser (ex. : nos croyances, ce sur quoi nous orientons notre attention). Les techniques comportementales sont quant à elles celles qui ciblent directement notre manière d’agir.

    Depuis une vingtaine d’années, la « psychologie positive » a pris de plus en plus de place dans la psychologie scientifique. Elle propose, entre autres choses, des techniques cognitives ou comportementales aidant les personnes qui le souhaitent à vivre, de manière durable, davantage de pensées et d’émotions positives dans leur quotidien. Certaines de ces techniques sont très simples. Mais, pratiquées régulièrement, elles tendent à produire des effets chez non pas toutes, mais beaucoup, de personnes qui les pratiquent. Nous pouvons voir cela comme une forme de « musculation » de son circuit de la récompense. De même que des techniques révolutionnaires ou extrêmement complexes ne sont pas nécessaires pour se muscler, de telles techniques ne le sont pas non plus pour stimuler son circuit de la récompense.

    Pour ne vous donner qu’un exemple de technique de psychologie positive toute simple, la technique des « 3 bonnes choses » consiste à lister chaque soir 3 bonnes choses nous étant arrivées aujourd’hui, et de prendre le temps de savourer ces évènements et de se demander quels éléments avaient permis à ces bons moments d’arriver (ex. : la chance ? Un ami ? Moi ?).

    Enfin, oui, les systèmes d’approche des récompenses et d’évitement des punitions interagissent en partie. Ainsi, en agissant sur notre propension à nous orienter vers les récompenses qui composent notre environnement, non seulement nous augmentons la fréquence de nos émotions positives, mais nous tendons aussi à diminuer la fréquence de nos émotions négatives.

    Question n°3 & 4 : Quels sont ces ateliers de développement personnel mis en place dans votre laboratoire ? Est-ce ouvert aux personnes extérieures du labo ? Auriez-vous des références, des techniques pour nous aider à ré équilibrer les circuits récompenses négatives et positives ?

    Je me permets ici de répondre aux 2 questions à la fois, car elles me semblent proches.

    Dans ma thèse de doctorat, que j’ai menée de 2015 à 2018, nous avons testé 3 programmes de développement personnel. Ces programmes étaient destinés à des personnes tout-venant, c’est-à-dire sans trouble affectif diagnostiqué (ex. : dépression majeure, troubles anxieux).

    Les 3 programmes étaient tous conçus pour aider les personnes à mieux gérer leurs émotions. Cependant, ils proposaient différentes stratégies pour atteindre ce but.

    • Le premier programme, issu des thérapies comportementales et cognitives classiques, s’organisait surtout autour de la prise de conscience de ses pensées négatives, et de leur restructuration.
    • Le deuxième programme était quant à lui un programme de psychologie positive. Il proposait de nombreuses petites techniques invitant à pratiquer des façons de penser et d’agir générant des émotions positives.
    • Le troisième programme était, en ce qui le concerne, un programme de méditation de pleine conscience. Il invitait à pratiquer une manière très originale de se réconcilier avec ses émotions, même ses émotions négatives.

    Si vous voulez en savoir plus sur ces 3 programmes, j’en ai fait un tout petit livre, qui s’appelle « Agir sur ses émotions ».

    Ce petit livre contient même des liens vous menant vers les programmes concrets que j’avais utilisés dans ma thèse. Ces programmes peuvent être suivis tranquillement chez soi. Donc, aucun besoin de venir à notre laboratoire pour y avoir accès !

    Question n°5 : L'imagerie mentale, les ancrages sont-ils des outils susceptibles d'être efficaces pour changer ces paramètres ?

    L’imagerie est une technique largement utilisée pour produire des changements émotionnels en nous. En effet, la principale cause de nos émotions semble être les pensées qui nous traversent l’esprit dans les différentes situations de notre quotidien. Or, ces pensées qui nous traversent l’esprit apparaissent soit sous la forme de phrases, de monologues internes (ex. : « je ne vais pas y arriver », « je suis nul(le) », « je vais être ridicule »), soit sous la forme d’images ou de films. Ainsi, pour produire des changements dans la vie émotionnelle des personnes en thérapie, les psychothérapeutes vont souvent travailler sur ces monologues internes et images mentales.

    Par « ancrage », vous entendez probablement cette technique qui consiste à associer un changement émotionnel à un geste. Je peux, par exemple, recroqueviller le petit doigt de la main droite chaque fois que mes émotions positives augmentent en intensité. De cette manière, les éléments « émotions positives » et « recroqueviller le petit doigt de la main droite » vont finir par être associés dans ma mémoire. Ainsi, dans le futur, il me suffira de recroqueviller le petit doigt de la main droite pour déclencher des émotions positives.

    Je ne suis pas un expert de cette technique, néanmoins elle m’apparaît valide. Elle repose en effet sur un processus d’apprentissage appelé « conditionnement classique », qui a largement été démontré. Dans notre mémoire, certains éléments (ex. : image, sons, mots, phrases, odeurs) sont liés entre eux simplement parce que, dans notre vie, ils sont survenus à peu près au même endroit et au même moment. Et l’activation d’un de ces éléments (ex. : je recroqueville mon petit doigt droit) peut activer en mémoire les éléments auxquels il a été lié dans notre histoire. C’est d’ailleurs ce que l’on observe quand on se force à sourire. Faîtes l’expérience, et vous verrez probablement que sourire, même quand c’est forcé, tend à générer une légère augmentation de vos émotions positives.

    À nouveau, je n’ai jamais étudié spécifiquement la question des ancrages. Je me demande donc malgré tout, probablement comme vous, si le fait de « conscientiser » ce phénomène (de le faire volontairement, d’en avoir conscience) ne réduit pas sa force.

    Question n°6, 7 & 8 : ​Existe-t-il une composante héréditaire dans nos émotions ? Est-ce que l'éducation joue sur notre cerveau pour déterminer si on est plutôt circuit récompense ou circuit punition ?  Qu'est-ce qui fait qu'une personne soit introvertie et une autre extravertie ? Est-ce quelque chose de déterminer ou qui se développe par la suite ?

    Je me permets de répondre ici à ces 3 questions, car elles portent toutes les 3 sur les causes de l’extraversion et du névrosisme. Gènes ou éducation ?

    Certains types d’études scientifiques cherchent à répondre à la question : « quelle est la proportion des différences entre nous dans une caractéristique psychologique donnée (ex. : névrosisme) qui est déterminée génétiquement ? ». Il s’agit notamment d’études menées auprès de jumeaux, ou encore d’études menées auprès d’enfants adoptés.

    Ces études suggèrent qu’environ 50% des différences qui existent entre nous dans le névrosisme ou l’extraversion s’expliquent par des différences de patrimoine génétique d’une personne à l’autre. Autrement dit, les gènes semblent avoir autant d’influence que notre histoire de vie, et en particulier notre éducation. Nous arrivons à une forme de « 50/50 ».

    Mais alors, dans notre histoire de vie, quels facteurs influencent notre niveau de névrosisme ou d’extraversion ? Rien de très original.

    Vous avez peut-être déjà compris que le névrosisme repose sur une forme de « radar à évènements négatifs » plus ou moins actif à l’intérieur de nous. Très logiquement, nous observons que le vécu, dans son passé, d’évènements négatifs intenses et/ou répétés (ex. : maltraitance, négligence, rejet) tend à amplifier son radar à évènements négatifs. En effet, le vécu, dans son passé, de tels évènements, tend à amener une personne à se dire que,  si cela lui est déjà arrivé, il est probable que cela lui arrive encore. Pour cette personne, c’est comme cela que le monde fonctionne. C’est normal. Il faut se préparer aux évènements négatifs. Ils n’arrivent pas qu’aux autres.

    De manière comparable, l’extraversion repose sur une forme de « radar à évènements positifs » plus ou moins actif en nous. Là encore, le vécu d’évènements positifs dans notre passé (ex. : des relations satisfaisantes avec ses premiers camarades de classe) tend à amplifier notre radar à évènements positifs intérieur, car nous en venons à penser que la survenue de tels évènements est normale.

    Question n°9 : Quels liens faites-vous entre la neuroscience et la psychothérapie ?

    Le premier lien est très général. D’un côté, les neurosciences étudient les structures et processus biologiques rendant possible notre vie mentale, notre fonctionnement psychologique. D’un autre, la psychothérapie est l’un des outils qu’une personne peut utiliser pour l’aider à produire des changements dans sa vie mentale, dans son fonctionnement psychologique. Ainsi, les neurosciences et la psychothérapie ont le même objet.

    Un lien probablement plus intéressant peut aussi être évoqué. C’est celui que je mentionne à la fin de ma présentation. Il est facile pour n’importe qui de comprendre qu’un élément physique peut mettre du temps à changer. Par exemple, il nous semble à tous évident que faire 20 pompes ne va pas doubler tout de suite le volume de nos pectoraux. Au contraire, il nous est plus difficile de comprendre que notre fonctionnement psychologique peut mettre du temps à changer, avec des périodes où l’on a l’impression de stagner, des moments de rechute parfois aussi. Ici, se souvenir que notre fonctionnement psychologique est lui aussi déterminé biologiquement, physiquement, peut nous aider à nous rassurer, et à ne pas nous perdre dans la poursuite de buts irrationnellement élevés (ex. : je dois changer tout de suite autrement je serai en échec).

    Question n°10 : L'émotion peut-elle être genrée ?

    Comme trop souvent avec les questions de genre, cette question fait parfois l’objet de fortes controverses. Certaines personnes ont en effet envie de croire que les hommes et les femmes sont très différents, et d’autres ont envie de croire qu’ils ne le sont pas du tout. Ainsi, beaucoup de monde, y compris des scientifiques et des intellectuels, ont tendance à ne s’intéresser qu’aux études scientifiques abondant dans le sens de ce qu’ils ont envie de croire. J’espère vous donner une réponse qui ne contiendra pas de tels biais.

    À ma connaissance, les études menées sur les différences entre hommes et femmes suggèrent que, sur la quasi-totalité des caractéristiques de notre fonctionnement psychologique (qu’il s’agisse d’éléments intellectuels ou de personnalité), les différences moyennes entre hommes et femmes sont très faibles.

    Je ne peux malheureusement pas vous donner un cours de statistiques en quelques lignes. Mais l’idée suivante vous aidera peut-être à comprendre ce que les scientifiques entendent par « différences de moyenne très faibles ». Si vous prenez 2 femmes au hasard (ou 2 hommes au hasard), vous avez davantage de chances de voir des différences entre ces 2 personnes qu’entre la « femme moyenne » et l’« homme moyen ». Quelle en est la raison ? Tout simplement qu’il y a déjà pas mal de différences d’intelligence et de personnalité d’une femme à l’autre (ou d’un homme à l’autre).

    Concernant les émotions, il a été observé que les femmes sont en moyennes légèrement plus enclines à l’anxiété et à la dépression que les hommes. Comprenez toutefois que ce n’est là qu’une différence faible, et que nous évoquons une comparaison de moyenne. La « femme moyenne » est légèrement plus anxieuse que l’« homme moyen », mais dans les faits il y a beaucoup de femmes qui sont moins anxieuses et dépressives que d’hommes. Malgré tout, ce phénomène-là, associé au fait que, encore aujourd’hui, les hommes sont en moyenne plus enclins à dissimuler aux autres leurs ressentis émotionnels que les femmes, fait que, en clinique, les femmes se voient plus souvent diagnostiquer des troubles affectifs (ex. : dépression majeure, troubles anxieux) que les hommes.

    La source de nos émotions

    Voici la vidéo de l'intervention de Jean-Baptiste Pavini, n'hésitez pas à poser vos questions en commentaires.

    NeuroStories 2020 - Jean-Baptiste Pavani : à la source de nos émotions
    Avez-vous apprécié ce contenu ?
    Commentaires

    Un avis ?

    Votre avis nous intéresse

    Description de la soumission d'un avis

    Votre vote :
    Votre avis nous intéresse