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À la découverte des origines du langage avec Adrien Meguerditchian

Adrien Meguerditchian est chercheur au Laboratoire de Psychologie Cognitive de NeuroMarseille. Il effectue des études comparées entre les primates et l'Homme pour raconter une histoire évolutive du langage.

Existe-t-il des points communs entre l’histoire évolutive des singes et de l’Homme ? Il semble logique de répondre oui, car nous appartenons tous deux à la grande famille des primates. Mais alors, dans quelle mesure sommes-nous connectés par l’évolution ?

Adrien Meguerditchian, chercheur au Laboratoire de Psychologie Cognitive, s’intéresse aux propriétés des modes de communication de nos cousins primates et de leurs liens avec certaines propriétés du langage humain. Pour ses travaux sur les implications du geste dans l’évolution du langage, il reçoit la Médaille de bronze 2021 du CNRS.

Alors, prêts à engager une petite discussion sur … Le langage ? Mais avant, une petite présentation s’impose.

Adrien Meguerditchian

Adrien Meguerditchian étudie les systèmes de communication des primates dans une approche comparative. Sa thèse en poche fin 2009, une bourse Fyssen lui permet de poursuivre ses travaux en postdoc sur la piste des chimpanzés sauvages au Sénégal, avec l’anthropologue américaine Jill Pruetz. Il travaille ensuite à Atlanta (USA) dans le laboratoire du primatologue William D. Hopkins pour étudier la communication des chimpanzés et ses liens avec les structures cérébrales.
Fin 2012, grâce à un financement ANR, il monte son groupe de recherche et intègre le Laboratoire de Psychologie Cognitive à Marseille au sein de l’équipe « Cognition comparée » dirigée par Joël Fagot. Il entre alors au CNRS en 2014 avant de décrocher une ERC starting grant en 2016 pour continuer ses travaux sur les origines gestuelles du langage.

Découvrez ses travaux

Le langage sous les projecteurs de la recherche

Quand on vous parle de langage, vous pensez très certainement à la parole, c’est-à-dire aux sons que l’humain modèle grâce à son appareil vocal ? Et bien, vous avez raison … Mais ce n’est qu’une partie de la définition !

Le langage, défini comme l’usage de la parole et le développement d’un système linguistique, serait donc l’apanage de Homo Sapiens, sans équivalent dans le règne animal. Cette théorie, de moins en moins tangible, fait en réalité l’objet d’un débat scientifique multidisciplinaire. En effet, à travers le spectre des sciences cognitives, le langage ne correspond pas à cette seule propriété qu’est la parole, mais plutôt à un système qui en intègre de nombreuses !

Pour Adrien Meguerditchian :

Le langage est le chef d’orchestre d’un ensemble de propriétés.

Pensez tout simplement aux bébés qui pointent du doigt. Ces gestes correspondent non seulement aux premiers signaux intentionnels de communication, mais aussi à la base de l’apprentissage de langage. Et oui, quand un bébé pointe un objet, ses parents vont attribuer un mot à cet objet que l’enfant intégrera : le geste est donc une propriété du langage. Mais sous la gestuelle communicative se cache aussi une syntaxe bien particulière. On parle alors de la syntaxe comme organisation séquentielle de l’action, c’est-à-dire une mise en place d’unités d’actions pour arriver à un but.

Cette nouvelle conception du langage amène une réflexion, vous la percevez ? Dans cet ensemble de propriétés qui constitue le langage, certaines espèces animales peuvent avoir acquis une ou plusieurs d’entre elles ! Et c’est précisément à cette jonction que se situe le travail de recherche d’Adrien Meguerditchian qui s’interroge sur les origines de certaines propriétés du langage et sur la manière dont elles ont, au fil de l’évolution, commencé à interagir entre elles pour travailler de concert jusqu’à former le langage de Homo Sapiens. Le chercheur et son équipe mènent des recherches « comparatives » entre espèces pour détecter les propriétés communes éventuelles héritées d’un ancêtre commun.

Est-ce que les primates communiquent avec le geste ?

Pour explorer ces propriétés communes du langage entre primates humains et primates non-humains, le chercheur et ses collaborateurs ont plus particulièrement étudié la communication gestuelle chez le babouin. Mais, comment procède-t-on ?

C’est après des heures et des heures d’observation que le chercheur et son équipe collectent des données pour décrire le répertoire de gestes des babouins. Ce répertoire gestuel est composé d’une soixantaine de gestes. Quelles conclusions tire-t-on de ces heures d’observations ?

  • Une découverte majeure a été la capacité des babouins à désigner par des gestes de pointage des objets de l’environnement en orientant ainsi l’attention d’un partenaire social vers ces derniers. Les chercheurs appellent ces capacités : des propriétés « référentielles ». On retrouve ces propriétés chez l’humain, notamment chez l’enfant, qui avant d’accéder à l’oralité, va utiliser le pointage pour représenter un besoin, une idée, une représentation. Tout l’enjeu est de réussir à comprendre si le babouin effectue ce pointage dans un but de communication intentionnelle. Et c’est notamment à travers un test mettant le babouin face à une situation où une source de nourriture lui est inaccessible, que les chercheurs ont montré que le babouin va communiquer son désir de nourriture par un geste de pointage !
  • La flexibilité du système gestuel du babouin a également été observée, en comparaison à des vocalisations qui sont plus figées. En effet, ces animaux ne se servent pas uniquement des mains pour créer leur gestuelle, ils utilisent leur corps en entier, ce qui leur offre une très large gamme de gestes … à apprendre ?
  • Car oui, l’autre découverte surprenante est la capacité d’apprentissage de nouveaux gestes tout au long de la vie que ces animaux développent. Prenons un exemple : au lieu d’utiliser le très répandu geste de menace, qui consiste à taper la main au sol, une jeune femelle s’est mise à applaudir pour intimider ses congénères. On parle de ritualisation, c’est-à-dire l’intégration de gestes qui étaient absents du répertoire gestuel. Ce phénomène de ritualisation est également observé, bien que plus rarement, en milieu naturel.

Adrien Meguerditchian et ses collaborateurs mettent en évidence le lien qui unit gestuelle et langage, ce qui renforce la théorie de la continuité évolutive du langage. Mais qu’en est-il au niveau des structures cérébrales impliquées ?

Est-ce que la communication gestuelle est aussi latéralisée chez le primate ?

À force d’observation, des disparités entre l’utilisation de la main gauche et la main droite en fonction des gestes effectués ont émergées (gestes de communication ou gestes pour réaliser une action sans interaction sociale).

Ces observations sont appelées asymétrie manuelle ou encore latéralisation.

Les études comportementales que le chercheur a mené pendant sa thèse de doctorat, supervisée par Jacques Vauclair, professeur de psychologie à Aix-Marseille Université, ont montré que l’usage de la main droite est bien plus importante (et cela même chez les gauchers) lors d’une communication par les gestes que lors de simples tâches comme de la manipulation d’objets. Le geste communicatif est plus latéralisé en faveur de la main droite.

Pour tester l’argument de continuité évolutive (primates-humains) entre la gestuelle et l’intentionnalité du langage, il faut faire un zoom dans le cerveau ! Chez l’humain, la main droite est contrôlée par l’hémisphère gauche, cette hémisphère a un rôle prédominant dans la plupart des fonctions du langage. Adrien Meguerditchian émet donc l’hypothèse que les gestes des babouins et le langage des humains partagent les mêmes bases neuronales asymétriques. Le chercheur se forme à l’IRM anatomique pour vérifier que la communication gestuelle chez le primate implique une dominance de l’hémisphère gauche dans des zones cérébrales homologues aux aires du langage dans l’espèce humaine.

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Les aires de Broca et de Wernicke

L'hémisphère gauche du cerveau humain est considéré comme le siège du langage, en particulier les aires cérébrales de Broca et de Wernicke. Cette représentation semble aujourd’hui un peu dépassée, au regard des avancées récentes mettant en évidence l’étendue et la complexité du réseau neuronal impliqué dans le langage, hémisphère droit inclus. Néanmoins, il est toujours admis que le cerveau gauche garde un rôle prédominant dans la plupart des fonctions du langage, et cela, chez une grande majorité d’êtres humains.

Vers une convergence évolutive

 À partir des images cérébrales collectées sur les babouins, nous avons mesuré par ordinateur les asymétries cérébrales anatomiques entre les deux hémisphères, dans des zones liées au langage dans l’espèce humaine. Pour chaque babouin, nous avons ainsi mesuré dans chaque hémisphère les dimensions de trois zones clé du langage : la partie antérieure de l’insula, l’aire de Broca et le planum temporale – une zone qui chevauche l’aire de Wernicke. »

Ainsi, son équipe a découvert que le planum temporale est bien plus gros dans l’hémisphère gauche chez le babouin ! L’argument de la continuité est donc de plus en plus certaine, car cette asymétrie est considérée comme une signature anatomique cérébrale spécifique de l’apparition du langage dans notre espèce.

Plus étonnant encore, avec son doctorant Yannick Becker, qu’il co-dirige avec Olivier Coulon, directeur de recherche à l’Institut de Neuroscience de la Timone, ils ont découvert que l’aire homologue de la fameuse « aire de Broca » chez les babouins présentait des asymétries cérébrales anatomiques corrélées avec les préférences manuelles de la communication gestuelle. Autrement dit, les babouins qui communiquent avec la main droite ont une zone de Broca plus grosse dans l’hémisphère gauche et vice et versa.

Ces recherches questionnent l’origine du langage en elle-même et remettent en question un bon nombre d’hypothèse. Le lien direct entre communication gestuelle des singes et aires homologues du langage chez l’homme ne peut plus être ignoré. Poussons un peu plus loin la réflexion. Cela veut dire que ce n’est pas avec Homo Sapiens que le cerveau s’est organisé de la sorte, c’est-à-dire que les précurseurs de cette évolution ne remonte pas à 350 000 ans, mais bel est bien à environ 25 à 40 millions d’années chez les babouins ! Ces découvertes fascinantes amènent beaucoup d’autres questions. Le groupe d’Adrien se concentre maintenant sur la question suivante :

 

Cyril FRESILLON/LPC/CNRS Photothèque
Cyril FRESILLON/LPC/CNRS Photothèque

Est-ce que ces asymétries cérébrales sont là, comme chez le bébé humain, de manière très précoces ?

Pour cela, ils étudient les comportements manuels de jeunes individus durant leur développement, et ce depuis leur naissance. Leur développement cérébral est aussi étudié grâce à des acquisitions IRM non invasives. Les bébés sont observés quotidiennement dans leur groupe social pour documenter le développement de la communication gestuelle ainsi que l’émergence d’une préférence manuelle associée. Ils sont également exposés à des tâches de latérisation manuelle plus classiques, par exemple, un jeu avec un tube rempli de beurre de cacahouète. La main prédominante que va utiliser le singe est alors un bon indicateur de s’il est droitier ou gaucher.

Les premiers résultats viennent de tomber : comme les bébés humains, le volume cérébrale de la région du planum temporale des nouveau-nés babouins présentent également une asymétrie en faveur de l’hémisphère gauche… et semble prédire le développement ultérieur des préférences manuelles associées exclusivement à la communication avec les mains qui émerge à l’âge de 6-7 mois. En revanche, les préférences manuelles associées à la manipulation du tube qui émergent au même âge, sont corrélées uniquement aux asymétries du sillon central, au niveau de l’aire motrice de la main, exactement comme dans l’espèce humaine.

Maintenant, il reste à voir comment les préférences manuelles évoluent au cours du développement. Vont-elles être stables ? Est-ce que les préférences manuelles vont changer ? Est-ce que l’anatomie des zones homologues du langage change aussi au cours du développement ?

Restez connectés pour suivre l’avancée des recherches d’Adrien Mergueditchian sur le sujet !

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